Réveil précoce, entre 6h30 et 7h00 selon les tentes. Il faut dire qu'il fait déjà jour et que la première journée de marche n'était pas très éprouvante. Aucune trace de fatigue, donc, et température suffisamment douce pour me motiver à faire un brin de toilette dans la rivière en contrebas. Bon, là pour le coup, l'eau est vraiment fraîche ! Mais ce n'est pas désagréable, au contraire, et après avoir fini on sent par contraste une chaleur dans tout le corps.
Enfin l'effet ne dure pas éternellement non plus, et il faut quand même mettre la polaire pour ce petit-déjeuner matinal (consciencieux, nous avons même plié les tentes avant de manger !). Il se compose de céréales dans du lait chaud (Fred et moi découvrons avec dépit que du coup, elles ne croustillent pas...) et d'un petit pain tartiné avec du "dulce de lecce" (confiture de lait assez sucrée et très appréciée des Argentins), ainsi que de thé ou de café selon les goûts. Une fois fait le plein d'énergie, nous bouclons nos sacs et reprenons la route vers 8h30, déjà en t-shirts car la météo est toujours avec nous, il fait beau et chaud, avec juste ce qu'il faut de vent rafraîchissant.
Fred et moi, en pleine discussion, avons pris quelques longueurs d'avance sur le reste du groupe et passons sans nous en rendre compte à côté de la première attraction de la journée... Heureusement nos compagnons nous appellent et nous faisons demi-tour pour constater qu'en effet, sur la plage un peu plus bas, se trouve un manchot ! Nous dégainons tous nos appareils en vitesse, persuadés qu'il faut immortaliser l'instant avant que l'animal nous repère et disparaisse. Mais à notre grande surprise, non seulement nous avons le temps de prendre des photos, mais en plus nous approchons sans cesse un peu plus sans provoquer de réaction du manchot. Nous en concluons qu'il doit être vieux et/ou malade pour se trouver ainsi isolé. Après avoir longuement mitraillé ce brave manchot roi sous toutes les coutures, et lui avoir trouvé un nom ("Jojo"), nous poursuivons jusqu'à la prochaine estancia sur notre route.
Un peu avant d'y arriver, nous faisons une pause dans une jolie clairière ombragée. Il est 11h00 et les dernières estimations d'Ivan nous font penser que nous serons probablement à Ushuaia vendredi soir plutôt que samedi matin, si nous maintenons le rythme. Pendant que Florence, Matthieu et David profitent de la clairière, Fred, Ivan et moi longeons la rivière qui nous sépare de l'estancia pour chercher un point de franchissement. Rien d'évident ni d'aménagé, mais en jetant une grosse branche en travers et en s'aidant de bâtons pour stabiliser les appuis, nous passons sans encombre de l'autre côté.
Vers 12h30, pause sandwichs, et sieste digestive dans la foulée... il faut dire que la douceur de l'air encourage fortement ce genre d'activité ! Lorsque nous reprenons notre marche à 14h, nous observons une évolution progressive du paysage : la pampa prend le pas sur les terrains plus boisés que nous avons traversés jusqu'ici, le vent forcit nettement et la température chute progressivement. La marche se prolonge car il nous faut atteindre la prochaine estancia ; en chemin, certaines rivières sont franchies pieds nus car la profondeur de l'eau ne permet pas de passer au sec.
Contrairement à la veille, on sent la fatigue qui nous gagne, et nous sommes soulagés d'atteindre enfin notre but vers 18h00, alors que le temps se fait menaçant. Mais il reste un dernier obstacle de taille à franchir : une nouvelle rivière qui nous sépare de l'emplacement où nous pourrons installer les tentes. Après plusieurs minutes de vaines recherches, Matthieu finit par prendre l'initiative de traverser pieds nus, opération délicate car l'eau arrive aux genoux, le courant est fort et les pierres glissantes. Florence suit son exemple, puis c'est mon tour...
Mais là c'est le "blackout" mental, une impulsion stupide me pousse à vouloir jeter mes chaussures par-dessus la rivière avant de traverser ; après tout, elle n'est pas si large... Sauf qu'au moment de lâcher la chaussure droite, première à entreprendre le vol que je pense sans encombre, un des crochets de laçage frotte ma main et transforme la trajectoire en une belle parabole qui termine sa course en plein milieu du cours d'eau ! Je vois avec horreur la chaussure partir à toute allure, portée par le courant, et c'est en maudissant la mauvaise connexion entre mes 2 neurones que je me précipite pieds nus dans l'eau pour essayer de la rattraper, pensant déjà qu'elle finira dans le canal et que je vais avoir du mal à rallier Ushuaia à cloche-pied...
Je la perds de vue mais fort heureusement, David a suivi sa course et me signale qu'elle a disparu sous un amas de branches. En effet, elle est restée bloquée au fond et je peux m'en saisir. Evidemment elle est trempée, mais au moins j'ai encore 2 chaussures. Les moqueries de mes camarades peuvent commencer et me poursuivront avec régularité à chaque cours d'eau traversé ! Pendant ce temps, Fred s'est mué en ingénieur des ponts et chaussées pour construire un passage avec des branches, sous le regard plutôt admiratif du fermier de l'estancia. Une fois les tentes installées, nous mangeons rapidement notre soupe au fromage et le chili con carne, car il fait maintenant froid (surtout quand on a prolongé le temps passé pieds nus dans l'eau...).
A 21h00, tout le monde est au chaud dans les sacs de couchage, alors qu'il tombe quelques gouttes et qu'un troupeau de vaches fait mine de vouloir passer par notre campement avant de faire demi-tour face aux obstacles inattendus qui se sont mis sur leur chemin habituel (excepté 2 veaux qui passent malgré tout, heureusement sans faire de dégâts).
Canal Beagle, manchot égaré !